Viande de chevreau: la filière se développe en Auvergne-Rhône-Alpes

9 Juil 2025

Chevreau d'élevage

Viande de chevreau en Auvergne-Rhone-Alpes : la cheffe de projet d’INTERBEV AURA nous parle du développement de la filière

 

L’agneau, on connaît, mais avez-vous déjà mangé de la viande de chevreau (le petit de la chèvre) ? Pour ma part, je ne savais même pas que c’était possible ! C’est au SIRHA, en janvier 2025, que j’ai découvert  l’existence de cette viande, en rencontrant Léna Orhant, cheffe de projet en charge du développement de la filière AURA chez INTERBEV Auvergne-Rhône-Alpes.

Lors du Tour des Terroirs qui est passé à Lyon en avril, j’ai également assisté à une battle de cuisine lors de laquelle plusieurs chefs ont cuisiné cette viande. J’ai même pu la goûter !

Si mes convictions écologiques m’ont amenée à adopter un régime flexitarien, je n’ai rien contre la viande, tant qu’elle est de qualité et de préférence locale, et que sa consommation en est mesurée. Il fallait donc que j’en sache plus sur cette filière qui se développe dans ma région. Interview de Léna, avant qu’elle ne s’en aille vers d’autres horizons professionnels.

SOMMAIRE :

  1. Léna, cheffe de projet pour le développement de la filière de la viande de chevreau en Auvergne-Rhône-Alpes
  2. Enjeux du développement de la filière de la viande de chevreau
  3. Création d’une organisation de producteurs
  4. Chiffres de la filière de viande de chevreau en AURA
  5. Une démarche d’élevage éthique
  6. Une filière caprine mal connue
  7. Communication autour de la viande de chevreau
  8. Dégustation et idée de recette

1. Léna, cheffe de projet pour le développement de la filière de la viande de chevreau en Auvergne-Rhône-Alpes

Pour rappel, INTERBEV est l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Elle a été fondée en 1979 par dix familles professionnelles du secteur bovin et est devenue par la suite une interprofession multi-espèces (bovins, ovins, équins, caprins, veaux). 

Bonjour Léna, quelle est ta fonction au sein d’Interbev Auvergne-Rhône-Alpes ?

L.O. : Je travaille pour le comité Interbev Auvergne-Rhône-Alpes, qui est le comité régional de cette interprofession nationale. Ma fonction depuis trois ans est d’être coordinatrice de la filière de la viande de chevreau. Concrètement, cela consiste à structurer et faire émerger la filière existante.  Ma mission est de faire évoluer la filière afin qu’il y ait une meilleure valorisation de la viande à tous les maillons, en particulier pour les éleveurs producteurs.

Quel âge as-tu et comment es-tu arrivée à cette fonction ?

L.O. :  J’ai 27 ans, ceci est mon premier poste. J’ai fait des études d’ingénieur agronome à l’ESA d’Angers, avec une spécialisation dans les produits du terroir et la valorisation des produits de qualité. Quand j’ai vu l’offre d’emploi, je me suis dit que le poste avait l’air hyper complet et stimulant, au carrefour de tous les métiers de l’alimentation. Le fait de valoriser un coproduit fait qu’il y a une part d’éthique dans le poste.

« Mon poste de coordinatrice vise à valoriser un produit méconnu mais pourtant de très grande qualité, coproduit du fromage et du lait de chèvre. »

2. Enjeux du développement de la filière de la viande de chevreau

 

Quel était l’état de la filière caprine à ton arrivée ?

L.O. : Cela faisait déjà un moment qu’un travail avait été amorcé au niveau de la filière régionale afin de valoriser la viande de chevreau, notamment par les syndicats caprins de la Drôme, Cette revalorisation consiste surtout en de la vente directe par les éleveurs : ils engraissent le chevreau à la ferme et le vendent en direct aux consommateurs. Cela  ne représente cependant que 10 % de la filière.

Les 90 % des animaux restants partent en atelier d’engraissement : ils sont collectés, engraissés par des engraisseurs spécialisés et tués par des abatteurs spécialisés. Cet abattage a lieu en France mais la viande est destinée à 60-70 % à être exportée vers les pays d’Europe du Sud. La filière dépend donc d’un marché international. Il est quand même important de préciser que les animaux ne sont pas transportés sur des milliers de kilomètres, comme c’est le cas pour certaines filières. A mon arrivée, il y avait donc cette dichotomie entre 90 % de la filière fonctionnant comme ça et 10 % de la filière qui se sont pris en charge et valorisent une viande d’une qualité supérieure au modèle classique, en vente directe. Il n’y avait pas d’intermédiaire entre les deux.

En quoi consistent tes missions au sein d’INTERBEV AURA ?

L.O. : Les éleveurs, constatant cette dichotomie, ont voulu créer le poste pour faire bouger et évoluer le marché, mais aussi leurs pratiques. Il s’agit d’une structuration de la filière parce qu’on est obligé d’avancer un peu au même moment à tous les maillons de la chaîne. On ne peut pas stimuler les vente s’il n’y a pas de produit. Et on ne peut pas demander aux éleveurs de développer le produit s’ils ne savent pas s’ils vont réussir à le vendre. Quand je suis arrivée, la mission était une page blanche à écrire : j’ai mis au point un plan d’action, que j’ai exécuté les années suivantes.

Cela semble complexe. 

L.O. : Mon travail est très riche humainement parce que je m’adapte à différents profils professionnels. Je dois être en mesure de savoir à la fois comprendre et parler à des éleveurs, des bouchers, des abattoirs, des responsables achats, des responsables communication et même des consommateurs lambda. Cela demande beaucoup d’écoute et d’adaptation, de tâtonnements aussi. Je vais régulièrement sur place, dans les élevages, afin d’être le plus connectée possible au quotidien des éleveurs.

« Mon rôle, c’est d’être comme un chef d’orchestre, c’est-à-dire que je donne le souffle aux acteurs locaux, je les aide à s’harmoniser ensemble. Mais ce sont bien eux les musiciens. »

3. Création d’une organisation de producteurs

 

Quand et pourquoi une organisation des producteurs a-t-elle été créée ?

L.O. : Les producteurs avaient conscience qu’il fallait qu’ils travaillent ensemble pour avoir plus de force et vendre davantage, mais ils ne savaient pas forcément par quel bout prendre le problème. Est-ce qu’il fallait créer une association de producteurs ? Est-ce qu’il fallait juste faire de la communication ? On a donc créé un groupement de producteurs il y a un an et demi maintenant, qui a vraiment une fonction commerciale, un peu comme une coopérative, même si le statut juridique est moins contraignant.

Le but, c’est de réussir à commercialiser la viande à des professionnels en B2B, sans que soit la charge des éleveurs, qui ont un autre métier que de vendre de la viande. On travaille beaucoup avec les éleveurs qui savent déjà faire cet élevage afin de convaincre une clientèle. Le but est de fidéliser les ventes avant de recruter de nouveaux éleveurs.

La création de l‘Association des éleveurs de chevreaux Auvergne-Rhône-Alpes a été le gros projet de 2024 et le point de départ de la structuration. L’association compte une vingtaine d’adhérents. C’est important pour moi d’être sur place, de visualiser les installations et de voir comment la problématique de l’élevage s’inscrit dans le quotidien des éleveurs.

Leur quotidien, ce n’est pas le chevreau : c’est faire du lait et du fromage et trouver un modèle rentable, tout en préservant leur équilibre de vie. Je travaille notamment avec les porteurs du projet de la filière caprine, Denis Dumain et Laurent Balmelle, qui sont éleveurs à l’Elevage du Serre, à Ribes, en Ardèche : on avance sur plein de sujets, tout en faisant du fromage ou en allant chercher les chèvres !

« Avant tout, en fait, les éleveurs de chevreaux sont des éleveurs laitiers. Et c’est bien le cœur du problème : la viande, aujourd’hui, c’est très compliqué à gérer en plus de leur ferme. »

Erwan Antoine, éleveur membre de l'Association des éleveurs de chevreaux Auvergne-Rhône-Alpes

Erwan Antoine, éleveur membre de l’Association des éleveurs de chevreaux Auvergne-Rhône-Alpes (source photo : idem)

4. Chiffres de la filière de viande de chevreau en AURA

 

Peux-tu me donner les chiffres actuels concernant cette filière de l’élevage ?

L.O. : Nous comptons de plus en plus d’éleveurs qui font des essais d’engraissement à la ferme et de vente directe mais il est difficile d’avoir un chiffre exact. Notre objectif est de développer un observatoire d’évaluation des chiffres.

Nous disposons des chiffres d’abattage mais ce ne sont que des estimations. La région AURA dénombrait plus de 1 000 éleveurs caprins en 2022 et des dizaines de centaines de chevreaux à valoriser. 10 % environ ont été engraissés à la ferme puis abattus dans des abattoirs de la région. On les appelle les chevreaux lourds car leur carcasse pèse plus de 8,5kg. Leur commercialisation se répartit entre la vente à la ferme ou en magasin de producteurs, les boucheries et les grossistes locaux.

Les 90 % restants sont engraissés par des engraisseurs spécialisés et abattus dans des abattoirs spécialisés également. On les appelle les chevreaux légers car leur carcasse pèse entre 5 et 6kg. Ils sont destinés à des grossistes ou à des centrales d’achat de la grande distribution.

5. Une démarche d’élevage éthique

 

Tu présentes le développement de cette filière comme une démarche éthique. Peux-tu expliquer ce que tu entends par là ? 

L.O. : La vision globale, c’est ce qui manque dans les sujets agricoles actuellement. Aujourd’hui, on soutient l’élevage de chèvres, on consomme du lait et du fromage mais on ne parle pas du fait que, pour avoir une production laitière, il faut avoir des mises-bas tous les ans. Une chèvre donne naissance à 1,5 chevreau en moyenne. La plupart des femelles sont gardées pour faire du lait. Quant aux mâles, on en garde pour la reproduction mais on n’a pas besoin d’un bouc par chèvre. On a besoin de quelques boucs seulement pour toutes les chèvres. Il reste donc des mâles. Ce sont ces mâles-là qui sont aujourd’hui collectés, abattus et exportés. 

La recherche d’éthique là-dedans est à différents niveaux. C’est se dire : quitte à avoir ce mâle-là, j’en fais un produit fermier, j’en fais un revenu complémentaire pour mon exploitation et je sensibilise le consommateur à le manger. Mais c’est aussi, pour un éleveur, de passer par l’atelier d’engraissement s’il n’a pas la main d’œuvre pour engraisser à la ferme, ou pas la clientèle pour vendre la viande en directe, ou pas l’envie de faire ça. Quelle que soit l’action qu’il va mener, la question se pose d’avoir une production qui soit rentable pour lui tout en préservant le bien-être de ses animaux.

6. Une filière caprine mal connue 

 

Comment se fait-il que la filière caprine soit tombée en désuétude ? 

L.O. : Les hypothèses sont de dire que post-guerre, on a eu la spécialisation des fermes, tout simplement. On a demandé aux agriculteurs de produire massivement ce qu’ils savaient faire le mieux. Et donc l’élevage laitier s’est concentré sur la production de lait, au dépend de l’engraissement des petits et de la production de l’alimentation sur la ferme. On est sorti d’un système polyculture d’élevage pour aller sur un système un peu monospécifique. Il y a donc eu une  déconnexion des productions au sein de la ferme. 

L’urbanisation des modes de vie est également en cause : les consommateurs ne sont plus au contact de leurs fournisseurs de nourriture et ne savent pas forcément ce qui passe et donc sont déconnectés du fait que, pour faire du lait, il y a de la viande derrière.

Enfin, le produit a également souffert d’un manque d’innovation. A Pâques et à Noël, on trouve à la vente de la viande de chevreau engraissé en atelier : tout ne part pas à l’export. On la trouve en barquette, en grandes surfaces, avec un 1/2 chevreau, voire un chevreau entier. Même si le prix au kilo n’est pas très élevé, la pièce entière peut revenir cher et cela dissuade les gens de l’acheter. Ils ne savent pas forcément comment la cuisiner non plus.

 

 

Les morceaux du chevreau

Les morceaux du chevreau – source : la-viande.fr

 

7. Communication autour de la viande de chevreau 

 

Comment fais-tu pour mieux faire connaître cette viande ? 

L.O. : Notre stratégie de communication consiste à faire pas mal d’éducation. Nous faisons des campagnes sur les réseaux sociaux et des stages avec les bouchers. Il est important que je me rende mieux compte des réalités d’achat en écoutant les retours des bouchers. La viande de chevreau n’est pas la priorité des bouchers, comme elle n’est pas celle des éleveurs, et il s’agit de comprendre pourquoi.

Un événement comme le Tour des Terroirs nous permet d’expliquer comment fonctionne la filière. Notre objectif est de faire parler de la viande de chevreau. En 3 ans, j’ai posé des pierres mais je pense que je n’ai rien révolutionné du tout !

Nous essayons d’avoir des restaurateurs qui soient des ambassadeurs de la viande de chevreau car le monde de la gastronomie porte des messages forts, que ce soit sur les questions d’éthique ou sur les tendances culinaires. Les restaurants constituent aussi un débouché, même si les restaurateurs ne cuisinent pas de gros volumes. Il s’agit surtout de travailler avec eux afin de comprendre quelle est la meilleure présentation du produit et comment le cuisiner.

OÙ TROUVER DE LA VIANDE DE CHEVREAU AU RESTAURANT ?

Trois restaurants le proposent dans la région lyonnaise :

L’Établi (Lyon 2),

Olivier Canal dans son bouchon de La Meunière (Lyon 1)

et La Table Vermorel, à Villefranche-sur-Saône.

 

8. Dégustation et idée de recette

 

Quelle est la différence entre la viande fermière et la viande engraissée en atelier ? 

L.O. : La viande fermière, dite de carcasse lourde, demande un élevage un peu plus long (2 à 3 mois), qui donne une viande avec un peu plus de fermeté et de typicité, de saveur, de texture. Le chevreau d’atelier d’engraissement, abattu très jeune, après un mois d’engraissement, est lui plutôt très fondant et très doux. Il est destiné à un un marché expérimental.

Quelle est ta recette préférée ? 

L.O. : Je voudrais déjà dire que le chevreau, ce n’est pas une viande forte, contrairement à ce que croient les gens. Pour le Tour des terroirs, nous avons travaillé avec Morgane, de l’Agence Yolk : elle a fait un effiloché. J’ai beaucoup aimé car c’est ultra-moderne et archi-tendre. La viande peut être utilisée dans un burger, par exemple.

 

LES RESSOURCES : 

Suivre l’association Éleveurs de chevreaux Auvergne-Rhône-Alpes sur Instagram

Cuisiner un gigot de chevreau

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