Alimentation durable à Lyon : un banquet organisé à la Cité de la Gastronomie

4 Avr 2024

La Cité Internationale de la Gastronomie à Lyon dans le Grand Hôtel-Dieu

Conversation dînatoire à la Cité de la Gastronomie à Lyon autour de l’alimentation durable

Samedi 23 mars, j’ai participé à un événement inédit pour moi et unique en son genre : une conversation dînatoire sur le thème de l’alimentation durable organisée à la Cité Internationale de la Gastronomie, au sein du Grand Hôtel-Dieu, en clôture du festival A l’école de l’anthropocène * (voir en fin de billet pour + d’infos).

Imaginer un banquet réunissant plus de 100 personnes, proposant de la cuisine faite sur place, avec des produits locaux, et abordant les thématiques majeures liées à l’alimentation ? Cité Anthropocène, l’agence October Octopus et Les Petites Cantines l’ont fait ! Je vous y emmène ?

L'équipe des Petites Cantines autour de Nora Hamadi

L’équipe des Petites Cantines avec Diane Dupré La Tour, la fondatrice, tout à droite et Nora Hamadi, la journaliste animatrice de la soirée à sa droite

Un banquet, 150 convives et 40 bénévoles 

Cité de la Gastronomie, 3e étage, sous les toits du Grand Hôtel-Dieu : c’est là qu’avaient été dressées les tables accueillant les 150 convives. Organisé autour d’un repas cuisiné quelques heures avant, dans les cuisines adjacentes, par 40 bénévoles recruté.es par Les Petites Cantines (le réseau des cantines de quartier participatives), l’événement avait un format original. Pas de prise de parole descendante de la part des expert.es présent.es (et assis.es à nos côtés à table) mais un mix de témoignages des commensaux.sales ( ?!) et de brèves interventions des dit.es-expert.es sur le thème « La table rassemble ».

En quelques heures, ce sont les thèmes essentiels qui tournent autour de l’alimentation qui ont été abordés, de manière brève mais percutante et incarnée, par chacun.e des expert.es. Moi qui suis passionnée d’alimentation, j’ai bu du petit-lait à entendre parler de tous ces sujets dans une atmosphère conviviale et de voir réuni.es en un même lieu tant d’acteur.trices passionné.es de l’alimentation durable au sein de la Métropole de Lyon et au-delà. J’ai repris ici ces thèmes, en développant les informations liées à la métropole de Lyon. J’espère que ce tour d’horizon alimentaire vous sera utile !

Le couvert est mis à la table du banquet !

Jérémy Camus, vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’alimentation, l’agriculture et la résilience du territoire, et Nora Hamadi au micro, en arrière-plan

Parler et faire parler d’alimentation 

Mon premier coup de cœur de la soirée a été pour l’animation de cette soirée, de main de maîtresse, par la journaliste Nora Hamadi. Elle est spécialiste des questions européennes, habituée des plateaux d’Arte et des studios de France Culture, mais aussi investie dans l’éducation populaire et le vivre-ensemble.

Il a bien fallu toute sa chaleur et son énergie pour arriver à faire régner un peu de calme pendant la dégustation (à table, on ne demande qu’à parler à son.sa voisin.e, non ? Comme en classe !!…) et surtout pour recueillir nos témoignages tout en faisant également rebondir les experts sur leurs sujets de spécialité. Une animation pertinente par une journaliste chevronnée ! J’en ai pris de la graine (même si, moi, je compte bien continuer à me planquer derrière mon écran pour écrire pour le moment !…).

 

"Vers la résilience alimentaire" : un livret proposé par Les Greniers d'Abondance

« Vers la résilience alimentaire » : un guide proposé par Les Greniers d’Abondance

Reterritorialisation et résilience alimentaire

On entend beaucoup ces deux mots dans le milieu de l’alimentation durable et pour cause : la résilience alimentaire est directement liée à la reterritorialisation des systèmes alimentaires. Comme on l’a constaté pendant la crise du Covid, notre système alimentaire est vulnérable face aux crises et aux menaces systémiques. Notre sécurité alimentaire peut ainsi être mise à mal (allez écouter Stéphane Linou sur le sujet). La résilience correspond à la capacité d’un système à absorber un choc et à se réorganiser tout en conservant essentiellement les mêmes fonctions.

Construire un système alimentaire résilient au niveau territorial/local, c’est prendre en compte non seulement la production de nourriture, mais aussi les activités dont elle dépend en amont (accès au foncier, semences, engrais, produits phytosanitaires, carburant, outils et machines…) et en aval (transformation, conservation, distribution, préparation des repas, gestion des déchets et des effluents).

Lucile Giquel, ingénieure, consultante et bénévole aux Greniers d’abondance, nous a ainsi présenté le projet de recherche-action mené avec la communauté d’agglomération du Grand Angoulême. Les Greniers d’abondance, association nationale fondée en 2018 par Arthur Grimonpont et Félix Lallemand, œuvre à la transformation du système alimentaire en France et dans les pays industrialisés (leur guides sur la résilience et la sécurité alimentaire sont accessibles en ligne).

Moutons en transhumance dans la Métropole de Lyon

Moutons en transhumance sur les quais de Saône (crédit photo : La Bergerie Urbaine)

Vers une meilleure autonomie alimentaire : l’exemple du PATLy de la Métropole de Lyon 

Et dans la Métropole de Lyon, où en est-on côté autonomie alimentaire ? Le projet alimentaire du territoire lyonnais, le PATLy, a pour objectif  de faire passer l’autonomie alimentaire de 4,6 % à 15 % et de permettre l’accès de tous les habitants à une alimentation saine et de qualité à l’horizon 2030. Comment cela se traduit-il ? Par le développement de la production locale de qualité, la structuration de filières, l’amélioration de la restauration scolaire, une meilleure justice alimentaire et un accompagnement au changement pour une alimentation saine et responsable.

Les fermes urbaines se multiplient dans la métropole, comme celle de l’Abbé Rozier, à Ecully, qui comprend une ferme pédagogique, celle du quartier des Etats-Unis, dans le 8e arrondissement mais aussi « La Ferme de Lyon » (ex-Ferme Perraud), sur le plateau de Saint-Rambert, dans le 9e arrondissement, qui date de 1896 et vient d’être reprise par une SCIC. Une bergerie urbaine s’est même créée en 2019, avec 45 moutons élevés en plein air dans la métropole !

« C’est tout le système qui est à revoir pour connecter les producteurs aux consommateurs – et c’est possible ! »

Jérémy Camus, vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’agriculture, de l’alimentation et de la résilience du territoire.

Belle Bouffe est une association lyonnaise qui milite pour un système alimentaire plus juste, écologique, solidaire & démocratique.

Belle Bouffe, association lyonnaise, milite pour un système alimentaire plus juste, écologique, solidaire & démocratique.

Lutte contre les inégalités et la précarité alimentaire

16 % de la population française est en grande précarité alimentaire. Sur la métropole de Lyon, nous explique Jérémy Camus, c’est un quart de la population qui dit ne pas manger à sa faim. Ces chiffres sont glaçants . Les Français ont mieux pris conscience de ces réalités avec l’appel à l’aide lancé par le président des Restos du Cœur en septembre 2023 : l’association craignait alors de ne plus pouvoir tenir que trois mois.

A Lyon, une association est née en 2019 pour lutter contre les inégalités alimentaires et militer pour un système alimentaire plus juste, écologique et solidaire : c’est Belle Bouffe, co-créé par la psychologue sociale Marie-Amandine Vermillon et Martin Cahen. La psychologue, présente au banquet, nous a expliqué les freins à la fois économiques, géographiques mais aussi pratiques (quand les compétences en cuisine ne sont pas maîtrisées) et symboliques qui empêchent l’accès à une alimentation de qualité.

En juin 2023, Belle Bouffe a réalisé son rêve en créant un lieu dédié à l’hospitalité et à la justice alimentaire, le Faitout. Ce tiers-lieu situé dans le quartier de la Saulaie à Oullins est à la fois un lieu ressource, un coworking réunissant plusieurs associations, une cantine associative et un espace propice aux expériences culinaires, pédagogiques et culturelles (je vous ai raconté son inauguration ).

Impossible de ne pas vous mentionner une dernière association puisqu’elle a contribué à nous  nourrir ce soir-là avec les légumes cultivés dans ses jardins de la Sarra, sur la colline de Fourvière ! Gaïa se définit comme un assembleur de compétences et d’initiatives solidaires dont le but est lutter contre l’exclusion et la pauvreté en créant du lien social par l’agriculture urbaine. Des terrains, publics ou privés, sont mis à disposition pour être cultivés par des maraîchers professionnels. Ceux-ci sont accompagnés de travailleurs sociaux qui sensibilisent et accompagnent les personnes en grande difficulté d’insertion et en grande fragilité à l’agriculture urbaine.

Transformer les villes d’accueil en archipels d’îlots solidaires
et nourriciers au plus proche des besoins des plus démunis.

La belle mission de Gaïa.

La Mesa, Maison Engagée Et Solidaire De L'AlimentationUn Tiers-Lieu Alimentaire Durable Et Solidaire au cœur du 8e arrondissement de Lyon

La Mesa (crédit photo : MET)

Démocratie et sécurité sociale alimentaires à l’expérimentation dans le

8e arrondissement de Lyon

Un lieu d’expérimentation a été ouvert à l’automne 2022, fruit d’un projet soutenu par la Métropole de Lyon et lancé par les associations VRAC et Récup & Gamelles. La Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation (Mesa), installée au cœur du quartier Langlet-Santy et tout proche d’autres quartiers prioritaires de la ville (Mermoz, États-Unis, les Minguettes à Vénissieux…) mêle épicerie bio, café-restaurant à prix solidaires et cuisine partagée. Le lieu a été pensé pour répondre à la précarité alimentaire qui touche les personnes les plus modestes. 

Toujours dans le 8e arrondissement, l’association Territoires à VivreS Grand Lyon, qui réunit plusieurs structures du territoire coopérant pour favoriser un accès digne à une alimentation de qualité, mène un type d’expérimentation parallèle : une Caisse alimentaire, inspirée de l’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation. Comment cette  caisse fonctionne-t-elle ? Avec un budget collectif, financé par des fonds publics (dont le soutien de la Métropole de Lyon) et privés (cotisations), qui sera géré de manière démocratique avec les personnes vivant la précarité. L’objectif de cette caisse est de permettre aux habitant·es volontaires, vivant en majorité dans la précarité, de recevoir chaque mois une somme à dépenser dans des lieux de distribution alimentaire, pour des produits dont les critères de qualité définis collectivement.

Olivier Hamont, biologiste et directeur de recherche à l’INRAE

Olivier Hamant, biologiste et directeur de recherche à l’INRAE

L’alimentation comme enjeu de santé publique 

Le lien entre alimentation et santé est bien connu depuis qu’Hippocrate, médecin grec de l’Antiquité, a prononcé cette phrase dont on nous a tant rebattu les oreilles : « Que ton alimentation soit ta première médecine ». Une diététicienne de l’assemblée a témoigné de l’augmentation glaçante du diabète de type 2 et de l’obésité parmi les adolescents qu’elle rencontre.

Olivier Hamant, biologiste, chercheur à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et directeur de l’Institut MIchel Serres le rappelle : la santé, c’est un bien-être tout à la fois physique, mental et social. C’est donc une donnée à inclure quel que soit le projet mené, qu’il soit social ou a fortiori économique. 

Le biologiste, dont le dernier ouvrage s’intitule « Antidote au culte de la performance : la robustesse du vivant », pense que ce sont les initiatives locales qui apporteront les solutions dans le monde bouleversé et déréglé dans lequel nous vivons. Il invite à la robustesse plutôt qu’à l’efficacité, à repenser tout le système en s’appuyant sur les marges et non sur le pouvoir, qui rend impuissant.

Il nous incite à nous réconcilier avec la nature, modèle de robustesse, notamment via nos assiettes. Sa vision pleine d’espoir sans être naïve, à la fois scientifique et pragmatique, m’a inspiré mon énième coup de cœur de la soirée (!). Il est difficile de rendre la force de ses propos en quelques phrases : je vous invite donc à l’écouter ici. 

« Le repas est un moment sacré : c’est le seul moment de la journée où la nature est au centre. »

Olivier Hamant, biologiste et directeur de recherche à l’INRAE

Les Petites Cantines, cantines de quartier solidaires

Les Petites Cantines, un réseau de cantines de quartier solidaires

Pouvoir de reliance de la table et éducation alimentaire

J’ai gardé le meilleur pour la fin : le meilleur car j’ai adoré les propos tenus par Diane Dupré La Tour, la co-fondatrice des Petites Cantines, un réseau de cantines de quartier solidaires né à Lyon et qui ne cesse d’essaimer dans toute la France tellement il répond à un besoin de lien social au niveau local. Le meilleur aussi car, sans le travail des bénévoles des Petites Cantines, il n’y aurait pas eu de repas ce soir-là – et on s’est régalés !

C’est suite à un accident de vie que Diane a eu l’idée de ce concept : quand on est seul.e ou isolé.e, la Petite Cantine du quartier est un lieu convivial où aller cuisiner  et/ou déjeuner ou bruncher, avec un tarif adapté au budget de chacun.e. Je ne peux que vous inviter à tester le concept. Dans la métropole de Lyon, ce sont 6 Petites Cantines qui vous accueillent, 7 autres sont ouvertes en France et 24 en montage : il y aura toujours une Petite Cantine près de chez vous !

Diane le proclame : « Le repas est un moment incroyable pour oser parler à des gens à qui on n’oserait jamais parler. »  Elle dit aussi : « Quand on apprend à un enfant à manger ce qui est différent, on l’éduque à l’altérité. » Je ne peux qu’être d’accord avec elle, moi qui suis à la fois passionnée d’alimentation et blogueuse culinaire – et mère d’un enfant un peu compliqué sur le plan alimentaire.

« Prendre sa place à table, c’est prendre sa place dans la société. »

Diane Dupré La Tour, co-fondatrice des Petites Cantines

Et le menu dans tout ça ?!

Il est grand temps de vous raconter ce qu’on mangé ce soir-là : en entrée, des samosas de patates douces et pois chiches; en plat, un curry de légumes et du riz, en dessert, des madeleines et des petits fondants au chocolat. Du bon, du sain, avec un service en mode participatif qui a ajouté au mode horizontal de la soirée.

Le mot de la fin est revenu à Michel Lussault, géographe et directeur de l’École urbaine de Lyon (EUL), premier lieu de recherche, de formation et d’expérimentation en France consacré à l’anthropocène. Ce seront aussi mes mots de conclusion de cette soirée, nourrissante à tous les points de vue !

 « Dans cette époque où nous ne savons plus à quel partage nous vouer, il n’y a pas de chantier plus urgent que l’alimentation. »

Michel Lussault, géographe et directeur de l’École urbaine de Lyon (EUL)

MIchel Lussault, géographe, a conçu et dirigé l’École urbaine de Lyon (EUL), premier lieu de recherche, de formation et d’expérimentation en France consacré à l’anthropocène.

MIchel Lussault, géographe et directeur de l’École urbaine de Lyon (EUL)

* Le festival d’idées A l’école de l’anthropocène, produit par Cité Anthropocène et l’agence October Octopus, est « unique en son genre en France, entièrement dédié au changement global, au croisement des sciences, des arts et des sociétés ». Il se penche sur la crise de l’habitalité que nous traversons en cette période trouble de notre civilisation.

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