Portrait de Thierry Poincin, créateur de RadioVino : vins nature, en vrac et podcasts sur le vin

8 Mar 2023

Thierry Poincin, dans sa cave de Lyon 5, Radio Vino, devant les cuves en inox qui contiennent les vins nature.

Cet interview fait partie d’une série d’interviews dédiée aux acteur.trices de l’alimentation locale et durable (mon dada !). 

En juin 2022, Thierry Poincin a ouvert la boutique RadioVino sur la colline de Fourvière, à Lyon 5e (lire la chronique de la boutique sur mon blog culinaire Bulle & Blog). Ce lieu hybride est à la fois une cave de vins nature, dont certains sont vendus en vrac, et un studio d’enregistrement pour les podcasts incarnés que ce grand amateur de sons crée depuis 2014. Je l’ai rencontré un jour d’hiver particulièrement frisquet afin qu’il me raconte son parcours d’entrepreneur et de podcasteur passionné d’écologie, de vins en vrac et de vins nature. Rejoignez-nous sur la mezzanine qui surplombe la cave, entre micro et enregistreur.

Qui es-tu ? Où est née cette fibre pour les vins nature et l’écologie ?

Je suis originaire de Vichy, dans le Bourbonnais. J’habitais à côté d’une ferme. Mon beau-frère était fermier. Depuis tout petit, je baigne là-dedans. On a toujours tué le cochon, le mouton. J’ai fait un BEPA agricole. L’agriculture, ça me parle. J’ai toujours eu une fibre écologique. Pendant longtemps, j’ai réfléchi à comment mettre mon BEPA à profit : je voulais élever des lapins angoras, des lamas, des escargots !

Et puis, je suis monté à Paris en 1979. J’y suis resté pendant 40 ans. J’ai eu un parcours très sinueux, que je ne vais pas détailler. Je travaille depuis l’âge de 16 ans. Je suis officiellement à la retraite depuis octobre 2022, en fait ! J’ai d’abord travaillé dans l’informatique puis la banque. Ça m’a aidé plus tard dans la création de ma boîte.

Quand j’avais 18 ans, sur ma R8, j’avais des décalcomanies « Sauvons les baleines » et « Nucléaire ? Non merci ! ».

Logo Nucléaire ? Non Merci !

Quand as-tu commencé à travailler dans le vin ?

J’ai commencé à travailler dans le vin au bout de 11 ans à Paris. Je suis devenu responsable de magasin pour la société Le Repère de Bacchus en 1990. J’ai répondu à une annonce : je n’avais aucune formation dans le vin ni dans le commerce mais ça me parlait bien. Ma candidature a été retoquée deux fois mais j’ai insisté auprès du PDG. J’ai été affecté au magasin rue de Bretagne, le plus gros du groupe, dans le 3e arrondissement de Paris, juste avant la sortie du Beaujolais Nouveau !

T’es-tu rapidement mis à ton compte ? Quand les vins nature sont-ils entrés dans ta vie ?

J’ai monté ma première société, Arômes & Cépages, au bout de sept ans, en 1999, dans le marché des Enfants rouges, rue de Bretagne. C’est le plus vieux marché couvert de Paris. A l’époque, il était moribond. Il a été sauvé par les habitants du quartier, Bertrand Tavernier en tête. Je vendais alors des vins d’artisans dans ma boutique. A l’époque, des vins nature, il n’y en avait pas. Nous étions trois sur Paris à en vendre. On se faisait attraper par les inspecteurs quand on écrivait « 100 % jus de raisin ». Et puis, il y avait peu de vignerons qui en faisaient : il y avait Lapierre, Gramenon, Overnoy. Et ça ne se vendait pas : j’avais 5-6 références, mais ça ne se vendait pas.

En 2000, j’ai ouvert L’estaminet, un bar à vins, toujours dans le marché des Enfants rouges, dans le local d’une imprimerie restée fermée depuis les années 1940. Le quartier est devenu people puis bobo et moi, j’en suis parti en 2008 après avoir vendu L’estaminet. Je suis allé travailler à Hong-Kong où j’ai monté une société de distribution pour vendre du vin.

En 2010, tu lances la vente de vin en vrac, c’est ça ? Parle-nous de tes cuves, dans lesquelles le vin nature est stocké.

Oui, je voulais réhabiliter la distribution du vin en vrac depuis un certain temps. J’ai saisi l’occasion quand je suis rentré en France en 2010. J’ai fait fabriquer des cuves en inox sur mesure par un chaudronnier de Bordeaux. Qui dit vins nature dit vins pas ou peu protégés par du souffre. Les caves coopératives qui vendent du vin nature mettent du souffre dedans mais je ne voulais pas ça. J’ai donc inventé un système de cocotte-minute qui permet d’alimenter les vins nature en azote alimentaire et de les protéger.

Je me suis installé sur un stand au marché de La Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris, où j’ai exposé les cuves. Ça a fonctionné tout de suite : la clientèle a réagi comme je l’imaginais. Pour les plus anciens, ça leur a rappelé leurs souvenirs de jeunesse, quand ils allaient chercher du vin ou du lait à la tireuse. Et les plus jeunes, qui n’ont jamais connu ça, ont compris immédiatement le message écologique relayé par la consigne. J’ai alors déménagé pour un espace plus grand et ouvert un bar à vins, En vrac (ndla : ce bar existe toujours), où l’on servait de la petite restauration en plus de faire du commerce de vin.

« Le vin en vrac n’existait pas en 2010 et n’existe toujours pas ou peu aujourd’hui, sauf dans les caves coopératives. »

Comment expliques-tu que le vin en vrac ne se développe pas plus à une époque qui requiert plus de sobriété énergétique ?

Le vin en vrac a une image de petit vin, de vin gentil, pour lequel l’hygiène n’est pas toujours respectée. Les gens n’ont pas envie de s’embêter aussi. Enfin, le vin a toujours ce côté sacré alors que ce n’est que du jus de raisin fermenté.

Qu’est-ce qui t’a amené à Lyon ?

Nous voulions quitter le 18e arrondissement car il y avait de la drogue et beaucoup d’insécurité. Ma femme s’est fait agresser. Elle a trouvé du travail à Lyon et je l’ai suivie. J’ai vendu En vrac en 2022 et trouvé le local à Saint-Just. Nous avons fait deux mois de travaux avant d’ouvrir la cave, au-dessus de laquelle se trouve notre studio d’enregistrement, en juin 2022. Je tiens la boutique avec Julien Gangand qui grenouille dans le vin comme moi et a réalisé la série Immerpif pour notre podcast.

Le litre étoilé : bouteille d'un litre, consignée.

Le litre étoilé : bouteille d’un litre, consignée

Comment la boutique RadioVino et la vente de vin en vrac sont-elles perçues par les habitants du quartier ?

La boutique et la vente de vin en vrac fonctionnent bien, voire très bien : cela représente 50 % de nos ventes. J’ai volontairement mis les cuves à l’entrée. J’ai l’impression de recommencer l’histoire : pour moi, c’est évident de vendre du vin en vrac et je suis toujours surpris de l’étonnement des clients qui découvrent ça. Surpris et heureux. Et rassuré : je me dis que tout n’est pas perdu quand je vois des jeunes qui s’approprient le vrac. Je n’ai rien inventé : le vrac se pratiquait dans les années 1940, 1950, 1960.

Je pense que le politique devrait s’emparer du sujet et remettre en circulation le litre étoilé.

Le litre étoilé, ce sont des bouteilles qui étaient consignées et qu’on pouvait ramener partout. Il faudrait que les grandes, les moyennes comme les petites surfaces et les indépendants puissent récupérer ce litre et qu’on puisse le déposer à Cannes comme à Dunkerque sans se poser la question au lieu que chacun travaille dans son coin.

Logo de Radio Vino : cave à vins nature et en vrac et webradio.

 

RadioVino, c’est le nom de la cave mais aussi de la webradio consacrée au vin que tu as créée. Quand t’es-tu lancé dans cette aventure ?

J’ai créé RadioVino en 2014. J’ai toujours été passionné de sons. J’ai toujours un enregistreur dans le sac : je faisais des prises de son le week-end, en voyage, dans la rue. Je faisais mes petits montages mais n’en faisais rien. J’ai toujours adoré la radio aussi : quand j’étais gamin, on n‘avait pas la télé, on écoutait la radio sur la table. J’ai toujours été bercé par le son des émissions et de la musique.

Le son est assez incroyable parce qu’il te replonge à l’instant T. Tu peux écouter quelque chose que tu as enregistrée il y a 10 ans, tu sais précisément où tu étais, quel temps il faisait. C’est assez bluffant !

J’aime la musique, le son, la radio, le vin, je me suis dit : « Pourquoi pas une radio sur le vin ? » RadioVino est né comme ça. Ça a débuté sans but précis. Enfin, si : je dis souvent que c’est une caisse de résonance.

J’aime l’idée de transmettre des messages écologiques. Ça me touche et c’est hyper important pour moi. Transmettre des informations sur le vin et sur les vignerons, je le fais en boutique et je me rends compte que tout le monde aime ça. Ce sont toujours des histoires assez incroyables et j’avais envie de les raconter.

A Paris, c’était un peu compliqué. J’interviewais les vignerons qui passaient par là et allaient sur les salons. A Lyon, c’est plus pratique : on est proches des principaux vignobles donc je me déplace : je préfère une captation sur le terrain qu’une interview en studio. On est suffisamment dans un monde aseptisé. Moi, je préfère m’accorder ces petites imperfections qui résonnent et qui parlent à chacun. Je suis aidée par Laurent Le Coustumer pour la partie technique. Il s’occupe de certains montages. J’en fais aussi.

J’aime être sur place, au milieu des vignes, pour enregistrer les podcasts. Je vois les choses. Il y a le chien qui aboie, le bébé qui pleure.

Thierry Poincin sur la mezzanine

Tu n’es pas seul aux manettes à RadioVino. Tu fédères des contributeurs autour de toi.

Je suis aux manettes mais je n’aime pas m’enfermer. J’ai besoin des échanges avec les autres, qu’ils me bousculent. Chacun peut alimenter la radio avec son podcast ou sa série, comme l’a fait Julien avec Immerpif. RadioVino est fait de gens qui participent, qui alimentent, avec des tons différents. On trouve de tout. C’est important pour moi qu’il n’y ait pas seulement du vin mais aussi de l’humain.

Quel rôle a joué Sébastien Demorand au sein de Radio Vino ?

Nous étions amis à l’époque où je tenais mon bar à vins aux Enfants rouges. Il était chroniqueur sur Europe 1 et écrivait pour des magazines culinaires. Il m’avait interviewé plusieurs fois pour L’estaminet. Quand j’ai monté RadioVino, il a tout de suite adoré le projet. On a fait plusieurs émissions ensemble, avec le Plop Club (ndla : une référence au Pop-Club de José Arthur, diffusé de 1965 à 2005 sur France Inter). Il répondait présent quand j’avais besoin de lui. Il m’a fallu deux ans après sa mort pour m’y remettre. Le fait de pouvoir aller dans les vignes, en étant basé à Lyon, m’a aidé. Sébastien n’aurait pas aimé qu’on s’arrête, je crois.

Peut-on revenir sur les vins nature, que tu vends depuis 20 ans sans faire de lobbying pour autant ? Où va le vin nature d’après toi ?

Les vins nature sont bien représentés aujourd’hui : beaucoup de caves se montent, des restaurants le distribuent et c’est tant mieux. Je suis très partagé cependant : le vin nature représente une tendance actuelle alors que c’est un acte militant de la part des vignerons. Il faut avoir du courage. L’argent n’est pas le principal moteur des vignerons. J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour eux, sans parler des aléas climatiques qu’ils subissent. Ils n’hésitent pas à faire des sacrifices. Je pense à Julien Merle qui a vendu 4 hectares sur ses 12 pour travailler avec son cheval et sa charrue. Il n’est pas là pour gagner plus.

Le vin nature, c’est juste du raisin dans lequel il n’y a pas ou peu de souffre. Le souffre est un antiseptique qui empêche le vin de repartir en fermentation : ça stabilise le vin, ça tue les levures naturelles qui sont dedans. Le vin nature est plus digeste pour la santé mais il y a toujours le risque qu’il reparte en fermentation. Je ne suis pas un ayatollah du sans soufre. Sur les étagères de RadioVino, il y a du vin naturel, du vin bio, du vin en biodynamie. Il n’y a pas de vins conventionnels et il n’y en aura pas. Ce qui est important pour moi, c’est qu’il y ait une démarche du vigneron qui tend vers le bio ou le nature. Je pense aux Tailleurs Cueilleurs, dans le Bugey, et à Catherine Bernard, une ancienne journaliste qui s’est lancée dans le Languedoc (écoutez son podcast dans la série Filles de vignes : « C’est de la poésie qui fait du bien, en dit Thierry !).

Le mot de la fin ? 

Je suis très heureux d’avoir lancé le vrac et les vins nature. Si je peux faire du bien à mon petit niveau, ça me suffit.

RadioVino

RadioVino, la webadio et les podcasts, c’est par ici ! La boutique, c’est par , et ma chronique, juste là !

47 rue des Farges

69005 Lyon (funiculaire Minimes-Théâtres Romains ou Saint-Just)

Tél : 09 71 24 59 07

Vins en vrac de 4,50 euros à 6,90 euros la bouteille de 75 cl.

Bouteilles à partir de 6,5 euros.

 

Encore soif ?

Si vous voulez creuser le sujet des vins nature, je vous invite à lire l’article très poussé écrit par Magalie Dubois et François Pariseau, publié dans Le Point en 2022 : « Tout savoir sur les vins dits « nature » » et à écouter/lire le débat d’experts qui a eu lieu en 2019 au salon « Sous Les Pavés La Vigne » sur le thème : « Vers une reconnaissance des vins naturels ».

Si vous voulez écouter une interview passionnante (hors Radio Vino !) d’un de premiers experts des vins nature, je vous conseille celle de Pierre Overnoy.

Façade la cave à vins nature et en vrac, Radio Vino, rue des Farges, Lyon 5e.

 

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